Episode 7 - Zoé Masquelier

Une chose est sûre : Zoé Masquelier n'a pas la langue dans sa poche. Coordinatrice de l'ASBL "la Plateforme pour l'Interculturalité" à Tournai, elle travaille depuis plus de trois ans sur l'accompagnement des migrants. Engagée et passionnée, elle nous raconte son quotidien, déconstruit les a priori et surtout explique avec beaucoup de pédagogie les enjeux et les forces derrière la migration aujourd'hui.

15.09.24 / Episode 7 - Zoé Masquelier, Coordinatrice ASBL 'Plateforme pour l'interculturalité', Tournai.

Après un Bachelier en coopération internationale à la Haute École de la Province de Namur et un petit détour par la Nicaragua pour un stage, Zoé a commencé sa carrière dans le secteur de l’éducation permanente et de la jeunesse. Depuis trois ans maintenant, elle est coordinatrice de l’ASBL Plateforme pour l’interculturalité (PIT) à Tournai. L’équipe de cinq salariés qu’elle coordonne, avec l’appui d’associations locales et d’une trentaine de bénévoles, a pour mission de favoriser l’intégration des personnes au travers de l’accès aux droits et l’interculturalité, peu importe leur statut administratif et social, à Tournai et dans la Wallonie picarde.  

La PIT agit en quelque sorte comme un guichet pour les migrants et offre des services comme un accueil de jour, des permanences sociales et juridiques ou encore un module sur la citoyenneté dans le cadre des parcours d’intégration en région wallonne. L’équipe s’est aussi impliquée dans un projet sur l’accompagnement spécifique des femmes en migration – une évidence pour Zoé, militante féministe et maman d’une petite fille.  

Casser les préjugés autour de la migration
La pédagogie est aussi au cœur du travail de Zoé, notamment pour aider à comprendre la crise migratoire actuelle. Aujourd’hui, elle explique, il n’existe pas qu’une seule cause de migration, elles sont multiples et multifactorielles. La plupart d’entre elles ont lieu du sud vers le sud, d’abord au sein d’un même pays, puis au sein d’une région (vers des pays frontaliers ou qui ont une culture ou une langue similaire). La troisième forme de migration est économique (du nord vers le nord en général) - les travailleurs frontaliers en font notamment partie. La dernière, enfin, est la migration sud > nord bien plus médiatisée. Elle a de multiples sources (migration climatique, travail, situation politique …) et est dans la plupart des cas un dernier recours.  

Migrant, réfugié, immigré … quelles(s) différence(s) ?
La terminologie peut parfois rendre confus, mais Zoé explique avec clarté les différences entre ces différents mots. Un migrant est une personne qui va d’un point A à un point B – c’est tout (la seule différence avec un voyageur : la raison et la durée) ; le mot ‘trans-migrant’, inventé par des partis politiques, désignerait des migrants qui ne font que passer par un pays, avec une autre destination comme point de mire ; un réfugié est un statut juridique de séjour, qui désigne une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ou de la protection internationale – un statut renouvelable qui peut aboutir à une demande de nationalité. Quant à émigré ou immigré, émigré désigne une personne qui quitte son pays, immigré désigne une personne qui arrive dans un pays. En bref : on est émigré quand on quitte un endroit, migrant sur la route, immigré quand on arrive ailleurs. En fait c’est simple !

Un métier passion
L’envie de défendre les droits des personnes, c’est ce qui a poussé Zoé à choisir cette voie. Après un stage de six mois au Nicaragua (« génial mais clairement on avait pas besoin de moi »), elle rédige un mémoire sur l’impact de l’accueil des expats et des coopérants pour les associations locales. A son retour, c’est décidé, elle ne travaillera pas dans la coopération internationale, préférant se concentrer sur l’éducation permanente, à l’impact plus local. Son engagement de terrain l’emmène de fil en aiguille à un poste pour relancer la JOC (Jeunesse Organisée et Combattive) à Tournai, puis au sein de la PIT, où elle était déjà bénévole, d’abord comme coordinatrice de projet puis comme coordinatrice de l’ASBL. Au quotidien, son travail se concentre notamment sur la recherche de fonds pour permettre l’action de terrain et l’accompagnement des personnes migrantes à Tournai.

Ses défis et challenges
Au quotidien, le fait d’être une jeune femme coordinatrice peut parfois poser problème (« vous êtes la stagiaire ? »), notamment dans un secteur où les femmes ne sont pas en majorité dans les postes de décideurs, et le sujet des migrants divise, créé la polémique. Surtout, Zoé est confrontée à des parcours de vie complexes, qui peuvent amener de la lourdeur dans le quotidien. En réalité, le parcours d’intégration est très long et compliqué, d’autant plus avec la migration et la barrière de la langue. Comment garde-t-elle tant d’énergie, alors ? « Parce que ce qu’on fait, c’est génial », dit-elle. Au fil du temps, elle constate aussi dans son réseau l’évolution des mentalités, l’ouverture progressive. Et au final, elle choisit de voir le verre à moitié plein : « on part de tellement loin qu’on ne peut avoir que des victoires ».

Et l’Europe, dans tout ça ?
La relation de Zoé avec l’Europe est complexe. Si elle salue l’utilité des financements européens pour certains projets autour de l’alphabétisation, de l’intégration ou de l’interculturalité, certains aspects freinent son enthousiasme, comme l’externalisation de la politique migratoire avec Frontex, agence de protection des frontières de l’Union Européenne. La frontière, d’ailleurs, est la première chose qui lui vient quand on dit Europe. « Elles ne sont pas les mêmes pour tout le monde », ajoute-t-elle. En tant qu’Européens, nous pouvons passer des frontières sans y réfléchir, mais pour certaines personnes qu’elle accompagne, traverser une rue à Mouscron serait un délit.  

Au quotidien, l’Europe complexifie parfois son travail. Le règlement Dublin en est un bon exemple : il stipule qu’une demande d’asile doit être effectuée et évaluée dans le premier pays où les empreintes d’une personne en migration sont prises. Or, logique géographique oblige, trois pays européens (Espagne, Italie, Grèce) accueillent la majorité des migrants et croulent sous les demandes administratives qu’ils ne peuvent plus gérer. Même si un migrant arrive jusqu’en France ou en Belgique, il sera renvoyé vers ces pays pour effectuer ses démarches administratives. Pour Zoé, le résultat des dernières élections européennes (dont le premier tour avait eu lieu quelques jours avant l’enregistrement de cet épisode, en juin 2024) n’est pas rassurant. L’exemple de l’accueil des Ukrainiens suite à la guerre est positif et donne de l’espoir, mais n’est malheureusement pas encore généralisé. Le plus grand souhait de Zoé : harmoniser les pratiques en Europe, mais par le haut.  

Sa recommandation : le podcast ‘Femme et migration’.    

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