Episode 10 - Melissa Camara
S'il y a un mot pour résumer Mélissa Camara, c'est bien 'engagée' avant tout. Elle lutte depuis plus de dix ans contre les inégalités et les discriminations sous toutes leurs formes. Députée européenne depuis peu, elle nous explique son quotidien de jeune élue et les combats qui ont fait d'elle une activiste.
15.02.25 / Episode 10 - Melissa Camara, députée européenne.
Née en 1991 dans la banlieue de Rouen, elle a été sensibilisée dès son jeune âge aux inégalités sociales. L’impact de la Manif pour tous en 2012 l’a poussée à s’engager activement dans le militantisme. Elle a ainsi rejoint SOS Homophobie et Osez le Féminisme pour lutter contre toutes les formes de discrimination. Désireuse de contribuer à un avenir plus juste pour sa fille, elle a intégré Europe Écologie Les Verts afin de défendre ces combats et de leur offrir une plus grande visibilité.
Du militantisme à la vie politique
Melissa Camara a suivi un bachelier en histoire avant d’obtenir un master en solidarité internationale, action humanitaire et crise à l’Université de Lille. Dans ce cadre, elle a rédigé un mémoire sur l’intersectionnalité et les femmes roms, mettant en lumière leur précarité environnementale et leur exposition à la pollution sur des terrains dédiés à l’habitat temporaire.
Bien avant son engagement politique, elle était déjà convaincue du lien indissociable entre justice sociale et justice environnementale, notamment après sa rencontre avec des femmes issues des gens du voyage. Animée par cette conscience, elle s’est impliquée dans divers combats avec la volonté de faire converger les luttes.
Élue conseillère communale à Lille en 2020, elle franchit un nouveau cap en devenant députée européenne en 2024. Pour elle, cette élection représente une opportunité de porter haut les causes qui lui tiennent à cœur et d’assurer leur pérennité. Sa candidature au Parlement européen s'inscrit également dans une volonté de contrer la montée de l’extrême droite, qu’elle associe à une nouvelle "vague brune" en référence à la marche des fascistes sur Rome en 1922 sous Mussolini. Elle fait rapidement face à des attaques, notamment à travers des discours homophobes, xénophobes et des conférences anti-migrants.
Au sein du Parlement européen, elle est membre de plusieurs commissions clés : la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genre, la Commission de la pêche et Commission sur le bouclier européen. Elle occupe également le poste de vice-présidente de la commission des relations UE-Turquie, renforçant ainsi son engagement sur les questions internationales et les droits fondamentaux.
Concilier vie de famille et combat politique
De nombreux députés, tant au niveau national qu’européen, estiment qu’il n’est pas évident de concilier ces deux sphères. Pour Mélissa Camara, cette dualité peut être perçue sous deux angles : l’un pessimiste, l’autre combatif. C’est cette dernière voie qu’elle a choisie, convaincue que son engagement est essentiel pour offrir à sa fille un avenir dans une Europe ouverte à tous.
En dehors de ces étapes institutionnelles, son emploi du temps est rythmé par une commission par jour, ainsi que de nombreuses rencontres avec des acteurs de la société civile : ONG, associations, intellectuels, et militants engagés.
Au-delà de son combat au sein du Parlement européen, c’est à travers ces échanges qu’elle trouve du réconfort et de l’énergie. Ses rencontres avec des ONG et des personnes engagées nourrissent sa détermination à poursuivre la lutte contre l’extrême droite. Être témoin des luttes sociales et environnementales lui permet de garder le cap et de résister face à la montée des idées réactionnaires au sein de l’hémicycle européen.
Une définition de certains concepts clés
La justice environnementale : de nombreuses études américaines mettent en évidence l’impact du changement climatique sur les populations afro-américaines. Ce phénomène ne se limite pas aux États-Unis, mais constitue un enjeu mondial touchant en premier lieu les populations les plus précarisées. Pour Mélissa, le changement climatique représente "le plus grand défi actuel". Elle rappelle que les deux piliers fondamentaux de l’écologie politique sont la justice climatique et la justice sociale.
L’intersectionnalité : ce concept trouve son origine dans l’analyse des relations entre ouvriers blancs et ouvriers noirs au sein de la classe ouvrière. Mélissa le définit ainsi : "un concept ou un outil permettant d’analyser les rapports de domination dans la société." Elle illustre cette notion à travers sa propre expérience : femme, noire, lesbienne et issue de la classe ouvrière. Selon elle, il est essentiel de prendre en compte chacune de ces facettes pour comprendre son rapport à la société et le déterminisme social qui en découle.
Initiative citoyenne européenne : l’ICE est un instrument de démocratie participative qui permet aux citoyens de l’Union européenne de proposer directement une nouvelle loi à la Commission européenne. Pour qu’une telle initiative aboutisse, elle doit recueillir au moins un million de signatures afin d’enclencher un processus législatif.
Convergences des luttes : la convergence des luttes désigne l’union de différents mouvements sociaux (écologistes, féministes, syndicaux, antiracistes, LGBTQ+, étudiants, etc.) afin de poursuivre un objectif commun ou de s’opposer à un adversaire partagé, souvent le système économique et politique dominant. Mélissa souligne l'importance cruciale de cette solidarité dans une société où les idéologies fascisantes prennent de l’ampleur.
Finalement l’Europe ?
L’Europe doit être fédérale et égalitaire, ces principes étant essentiels pour faire face aux menaces de l’extrême droite. Il est primordial de maintenir un lien étroit avec les citoyens afin de renforcer le rôle de l’Union européenne. La crainte d’évoluer dans une "bulle bruxelloise" pousse Mélissa à envisager la création d’une permanence, un espace qui offrirait un point d’ancrage national et une plus grande légitimité à son action.
Elle constate un manque de connexion entre les enjeux français et européens et cherche à collaborer avec des députés français sur des thématiques communes, notamment les questions liées à la pêche.
Pour Mélissa, "l’Union européenne doit être le filet de sécurité des citoyens". Elle doit être en mesure de sanctionner les régimes illibéraux, comme la Hongrie, afin de protéger la vie associative et les droits fondamentaux des Européens. Toutefois, elle souligne les faiblesses des institutions européennes face à la montée de l’extrême droite. Actuellement, leur action est entravée par des blocages orchestrés par certains États, rendant difficiles l’adoption de sanctions et la défense des valeurs démocratiques.
La menace de l’extrême droite n’a jamais été aussi présente au sein du Parlement européen, où trois groupes d’extrême droite totalisent 187 députés sur 720. Pire encore, la droite traditionnelle commence à s’approprier certains de leurs thèmes, voire à collaborer avec eux.
Pour Mélissa, la seule réponse possible réside dans un sursaut des forces progressistes, féministes et antiracistes afin de contrer cette montée en puissance. Elle conclut ce podcast sur une note d’espoir en citant Salomé Saqué : "Il n’est pas trop tard."
Recommandations ·
- Un livre écoféministe : Des paillettes sur le composte (Myriam Bahaffou)
- Résistons (Salomé Saquet)
- Une BD: La tour de Babel (Kokopello)
- Pinar Selek sur la question turque